vendredi 25 mars 2011

IKEA…ou comment concilier responsabilité sociale et production en pays émergents ?

Par Karl Villeneuve, Amine Benmoussa, Laurence Toffeletto, Claudine Ferragut


Jusqu’en 1980, ce sont les valeurs de son fondateur, Ingvar Kamprad, qui ont façonné la politique de responsabilité sociale d’Ikea. Ainsi, jusqu’au déclenchement de la crise sur le formaldéhyde, Ikea ne disposait pas d’une politique de responsabilité sociale en bonne et due forme. L’entreprise s’appuyait plutôt sur des valeurs et une culture interne formalisée par Kamprad[1] et orientée vers les employés, les clients et les fournisseurs. Le contrôle des coûts est également un élément important de cette culture. La recherche de fournisseurs moins chers a d’ailleurs fait d’Ikea un précurseur dans les années 50 en produisant en Pologne à plus faible coût.

Un certain niveau de responsabilité sociale était ainsi intrinsèque à la culture et aux valeurs de l’entreprise : "To create a better everyday life for the many people". Ingvar a cultivé une culture corporative basée sur ses croyances personnelles et a formé ses employés pour qu’ils continuent à appliquer au jour le jour ses valeurs. Cependant,  sa recherche d’alternatives moins couteuses a soumis Ikea à des défis jusque-là inconnus et l’a exposé aux nouvelles réalités de RSE (2,300 fournisseurs dans 70 pays) - sa culture a ainsi dû s’adapter.
 
En 1980, on ne peut affirmer qu’Ikea cherchait consciemment, à ce stade de son histoire, à mettre en œuvre des pratiques allant au-delà des lois existantes. Ikea respectait les lois mais ce sont ensuite les valeurs intrinsèques à la compagnie qui semblaient guider la mise en place des pratiques. Il n’y avait pas de volonté affichée d’aller au-delà des lois, seulement celle de suivre les valeurs du fondateur.

À partir de 1980, les valeurs historiques d’Ikea ont été remises en cause, et sont apparues comme insuffisantes. Trois événements ont modifié la politique de responsabilité sociale d’Ikea et son approche transactionnelle historique par une approche ``répondante`` (Bartlett et al. (2008), Porter et al. (2006)) :

·        la nouvelle régulation sur le formaldéhyde en 1980 au Danemark, qui provoqua une prise de conscience des problèmes environnementaux chez Ikea,
·         le reportage allemand de 1992 révélant le taux de formaldéhyde élevé des bibliothèques Billy,
·        et finalement le reportage suédois de 1994 soulevant le problème du travail des enfants en Inde employés pour produire les tapis Ikea.

Il apparaît ainsi que la politique de responsabilité sociale d’Ikea a essentiellement été réactive dans un premier temps. Cette réaction initiale a cependant été suivie dans ces trois cas de comportements allant au-delà du simple respect des lois existantes.

La réaction d’Ikea dans le cas du formaldéhyde est, à cet égard, particulièrement parlante ; suite aux pressions publiques et réglementaires, Ikea est devenue une société exemplaire en termes de gestion forestière, établissant des partenariats avec des ONG comme Greenpeace ou WWF (WWF, 2007) sur la gestion et la conservation des forêts. Ikea a également identifié quatre étapes du cycle de vie des produits où les critères environnementaux doivent être évalués : ces pratiques vont au-delà des lois existantes.

Ikea a réagi à la crise de tapis indiens comme une problématique sociale et ont accepté leurs responsabilités (tel qu’établi dans les valeurs de la compagnie). À la suite de ce réveil brutal à la réalité des dangers de transférer sa production dans des pays en voie de développement, Ikea a entrepris des actions pour se prémunir de ces travers de la mondialisation. Il apparaît ainsi que ce n’est pas la politique de responsabilité sociale en tant que telle qui est à remettre en cause dans le cas du travail des enfants en Inde (des précautions avaient été prises avec des contrats très clairs à ce sujet avec leurs fournisseurs), il semble plutôt qu’une certaine naïveté et méconnaissance des conditions sociales des pays en voie de développement est à pointer du doigt. On peut cependant légitimement s’interroger, lorsqu’on est une multinationale de la taille d’Ikea avec des valeurs de responsabilité sociales mises en avant de façon si évidente dans les campagnes de communication, ne doit-on pas mettre en œuvre tous les moyens pour s’assurer de l’application de ses principes tout le long de la chaîne de valeur ?

Suite à ces trois événements, Ikea adopta et publia sa propre politique sociale et environnementale sous la forme de «code de bonne conduite de Ikea».


[1] The testament of a furniture Dealer

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